J’ai la chance de pouvoir écouter cet album en boucle depuis plusieurs mois. Alors que je trépigne d’impatience à l’idée d’en parler librement depuis la première lecture, voilà enfin le temps de la libération.
Des singles extrêmement bien choisis pour assurer sa promotion, des clips et de nombreux visuels aboutis, magnifiques, un groupe aussi solide que sa fanbase, une vision concrète… Je pourrais encenser Spiritbox encore et encore, le temps que tout le monde comprenne que ce groupe incarne la nouvelle ère du metal.
Le trio canadien a amassé quelque 75 millions de streams sans tournée, sans sortie majeure depuis leurs débuts. Holy Roller, le tout premier single extrait d’Eternal Blue sorti l’année dernière, a atteint la première place des chansons de l’année de SiriusXM Liquid Metal et la 25ème place du classement Billboard Hot Hard Rock.
Spiritbox aurait pu choisir de surfer sur la vague de ce succès mais a plutôt choisi de prendre le temps de concocter un album à son image, ambitieux et cohérent. Ainsi, après deux ans de travail, le groupe délivre aujourd’hui un premier effort attendu par leurs fans et les amateurs du genre.
Courtney LaPlante (chanteuse) a déclaré que l’un des objectifs principaux du groupe était la fluidité. Et c’est exactement ce qu’apportent les douze morceaux d’Eternal Blue : des expérimentations mêlées à des influences personnelles. Vertigineux, sombre, beau, pur, violent, doux, ce nouvel opus porte en lui la fureur du metal, la versatilité de l’électronique et la douceur de la pop.
« Sun killer sing me to sleep »
Courtney, que j’ai pu interviewer – disponible dimanche! -, a déclaré :
« Cet album est lourd, émotionnellement et musicalement, car toutes les émotions qui me pesaient ont bouilli en moi pendant le processus d’écriture. »
En effet, l’album est lourd, lourd de tous ces styles, d’ambiances et d’influences qui le composent. On pourrait même comparer la voix parfois lancinante de Courtney à celle d’Amy Lee (Evanescence) par moments. Le titre d’ouverture, Sun Killer, dégage une intensité folle. L’intro et l’outro sont vibrants comme des battements de coeur. Le rythme est repris par une guitare agressive au moment du second couplet. Les paroles relatent une bataille contre la dépression et on peut relever un parallèle entre les expressions « shallow paradise », au début, et « shallow parasite » au second couplet également.
Sur Hurt You et Circle With Me, deux des singles extraits, Courtney et Mike jouent avec une technique inimitable. La signature du guitariste est spectaculaire et me saisit jusqu’à me donner des frissons. L’empreinte vocale de Courtney, tout aussi impressionnante, la place parmi les voix féminines les plus influentes du genre. Passer d’un scream implacable à des envolées mélancoliques en quelques secondes à peine n’est pas donné à toutes les chanteuses, mais on a l’impression qu’elle a trouvé sa marque, sa « voix » depuis très longtemps.
Entre lumière et obscurité, douceur et férocité, ces titres matérialisent le parfait exemple de ce qu’est Spiritbox.
« The venom is what keeps me alive »
Comme le cosmos renferme plusieurs galaxies, Eternal Blue renferme plusieurs pépites. D’ambiance lourde à atmosphère aérienne en passant par de nouvelles dimensions, Spiritbox brille par la diversité de sa palette de sonorités. Même en connaissant cinq pistes sur douze, le groupe parvient à me surprendre, me toucher en revisitant les influences que j’aime, comme le metalcore, et en me faisant redécouvrir d’autres comme le djent.
En l’espace de quelques écoutes, de nouveaux morceaux deviennent des hymnes : The Summit et le titre éponyme font partie de ceux-là. Le refrain du premier est génial et reste en tête. Le second me donne des frissons, ainsi que les notes graves de Courtney et cette rythmique teintée d’electro au clavier sur le refrain. Juste après, les riffs et le solo font exploser l’ensemble.
Sur We Live In A Strange World, il se passe quelque chose d’incroyable. Ce qu’accomplit le groupe ici est indescriptible tant qu’on a pas écouté l’album. Les expérimentations sont poussées au maximum et cela donne une fluidité au genre que j’ai rarement entendu auparavant.
Le metalcore brut comme je l’aime réapparaît avec Silk In The Strings et le fameux Holy Roller. Ce sont les chansons les plus courtes mais quelles claques, l’une après l’autre ! Je reste bluffée par la précision des instruments et de ce mix quasi sans faute. Courtney a déclaré que la pandémie avait aidé à ce que les paroles soient plus fortes dans leur signification. Alors merci la pandémie (mais pas trop quand même).
Pour rappel, le clip est inspiré des visuels de Midsommar (2019, Ari Aster) et est une nouvelle preuve, s’il en fallait une, que Spiritbox sait soigner son art graphique.
« Where was the grace when I was begging ? »
Si vous avez aimé ce qu’a produit Spiritbox avant Holy Roller, à savoir Blessed Be ou Rule Of Nines, vous aimerez ce disque. Le groupe a repris la même recette et l’a sublimé pour nous offrir un recueil émotionnel et technique à la fois.
La plus grande surprise vient sur la troisième piste. Le featuring avec Sam Carter est juste exceptionnel. Ce metal moderne et industriel teinté de djent et de notes alternative des années 90 court sur 3 minutes et quelques. Cet effet dévastateur produit par l’association de mes deux voix préférées du genre me rend euphorique à chaque écoute. Même si les musiciens ne la joueront sans doute pas ensemble en live, j’adorerais la découvrir sur scène. Cette conversation en musique entre les deux artistes est plus qu’une collaboration à mes yeux.
Constance est l’une des chansons les plus connues, si ce n’est la plus célèbre et représentative du groupe. Et c’est aussi un texte qui me parle, auquel je m’identifie pour des raisons personnelles. Les paroles s’inspirent de la grand-mère de Courtney et de sa bataille contre la démence. La grand-mère de Dylan Hryciuk, le réalisateur du clip, combattait le même type de maladie et son prénom était Constance.
Comme un hommage et un baume sur les blessures familiales que beaucoup traversent, elle est devenue incontournable dans le catalogue du groupe.
« It’s hard to lose and wonder why »
Spiritbox est le nom d’un appareil qui permet de communiquer avec les esprits. Que les musiciens en soient conscients ou non, cette notion paranormale est reprise dans cet album, de bout en bout. Néanmoins, il serait faux de n’apporter qu’une seule interprétation à l’ensemble de l’oeuvre tant elle regorge de trésors cachés, même après plusieurs écoutes. Eternal Blue répand la vie, l’intensité de toutes nos émotions humaines, la splendeur du ressentir.
La sincérité de leurs textes, la dextérité de leurs compositions et le développement de l’univers de Spiritbox n’a laissé personne indifférent. Nous traversons tous des hauts et des bas et le groupe l’a très bien intégré pour le ressortir ici. Eternal Blue s’accroche à nos coeurs, à nos esprits comme une main tendue à ceux qui en ont besoin. Aucun compromis n’a été fait car chaque chanson relève d’influences personnelles et de moments de vie.
Enfin, je voudrais saluer le courage et le talent de Spiritbox. Ne sortir que des singles au compte-goutte n’est pas chose aisée quand on est sur le point de (re)commencer. Après plusieurs singles balancés sur la toile, le groupe a quand même tenté de nouvelles choses au fur et à mesure. Je le dis encore une fois, j’admire la prise de risques chez un artiste. Quand elle est fondée et que le public répond favorablement, il n’y a aucun mal à un peu de variation.
D’ailleurs, le groupe peut se vanter de réunir une fanbase solide et impliquée. Preuve en est le fait que je n’ai pas réussi à mettre la main sur un vinyle. Malgré cela, je suis très contente d’avoir vécu, un peu en privé, ce voyage en moi-même. La redécouverte de certains goûts musicaux enfouis, certains sentiments aussi.
À écouter si vous aimez : Currents, Jinjer, Loathe