Fishrider Records est un label néo-zélandais, situé à Dunedin, dont la ligne de conduite se base sur l’artisanat musical, le « Do It Yourself ».
Sa force : l’éclectisme des groupes signés, l’identité musicale distincte de chacun des artistes, la profondeur de leur son et j’en passe. Fishrider est un label unique en son genre, dirigé par Ian Henderson, perle rare dont la morale devrait servir de modèle à bien des directeurs de majors…
Pour en savoir plus sur son travail et sur lui-même, je lui ai posé quelques questions. Pour des raisons pratiques, l’interview sera retranscrite en français et en anglais.
Interview
Quand avez-vous lancé votre maison de disques ? Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?
Fishrider Records a été lancé en 2006. Je voulais publier la musique d’un ami parce qu’aucun autre label ne voulait le faire. J’ai utilisé Internet pour la diffuser, en faire la critique et cela a provoqué des réactions. Les gens ont aimé et ont acheté la musique, du monde entier. Ils étaient enthousiastes à l’idée d’entendre de la musique venant de Dunedin. Cette ville était considérée comme l’une des plus importantes métropoles de la musique alternative dans les années 80.
Puis j’ai commencé à éditer des albums du groupe de mon frère, The Puddle. Ils étaient signés sur Flying Nun Records dans les années 80 et 90, comme d’autres groupes célèbres de Dunedin : The Clean, The Chills, The Verlaines, etc. Des gens les connaissaient du monde entier. Cela a aidé Fishrider Records à avoir une longueur d’avance.
Y a-t-il des éléments au-delà du domaine musical qui vous poussent à signer un artiste plutôt qu’un autre ?
J’édite seulement la musique que je voudrais dans ma collection de disques, jouée par des gens que je connais, habitant Dunedin. C’est une approche très limitée mais je fais ça par amour de la musique. La première question que je me pose est de savoir si je supporterais l’idée de voir cette musique que j’aime tant être dévoilée.
Deuxième point important : est-ce que j’aime ces gens, les comprends et veux travailler avec et pour eux ?
Troisième question : serai-je capable de vendre assez de disques pour au moins couvrir tous les coûts ?
C’est sur ce point que Fishrider se différencie des autres maisons de disques ! Mon intuition est guidée par mon coeur, ce qui n’est probablement pas la meilleure façon de diriger une entreprise mais au moins, le label diffuse de la bonne musique qui ne pourrait pas l’être d’une autre manière que celle-ci.
Que pensez-vous de l’industrie musicale d’aujourd’hui ?
C’est difficile de maintenir une maison de disques aujourd’hui. Internet aide le monde à communiquer mais c’est dur de prendre ça sous un angle durablement financier. Fishrider n’est pas une industrie musicale mais un label musical et artisanal. Ce sont des liens collaboratifs avec des musiciens que j’aime et admire, dont j’aide la musique à être diffusée et promue. C’est comme un partenariat ou un collectif. Je ne vis pas de cela.
Je pense que l’accent est trop mis sur le commerce musical des œuvres déjà parues et rééditées, sur l’héritage des artistes, mais pas assez sur le développement du futur de la musique. Les festivals, le Disquaire Day et les médias musicaux semblent être dominés par les groupes reformés et les plus vieux, ainsi que les rééditions. Je pense que c’est une menace pour les jeunes musiciens, ce qui n’existait pas pour les précédentes générations.
C’est plus difficile pour les nouveaux artistes et les groupes de se faire valoir et de survivre. Financièrement, c’est très dur. Ils enregistrent et diffusent leur musique eux-mêmes mais il y a bien moins de soutien apporté à leur développement. C’est leur demander de diriger, promouvoir et se vendre à la fois, conjointement aux faits d’entretenir une carrière, d’écrire leur musique et répéter.
Les petits labels comme Fishrider sont plus courageux que les majors. Nous prenons des risques en signant de nouveaux musiciens émergents qu’ils ne prennent plus désormais. Les majors sont fades, sans identité. Mais ce sont de grandes entreprises, ils sont là pour encaisser des bénéfices pour leurs actionnaires en dehors des droits d’auteur qu’ils détiennent. Leur intérêt dans la musique est de faire de l’argent, plus que de développer la culture et l’expression artistique.
Industrie musicale
Si vous étiez à la place de majors, changeriez-vous quelque chose ? Si oui, quoi ?
Je pense que les labels indépendants ont pris la relève de dénicheurs de talents, un rôle devenu important, plus qu’auparavant. Mais les gros labels dominent le marché du disque – physique ou digital – et c’est d’autant plus difficile pour les petits labels de survivre.
Si je dirigeais une major, j’espère que je réaliserais l’importance des petits labels viables restants parce que ce pourrait être le tremplin de mes futurs artistes.
Ce que je changerais, c’est une manière pour cette industrie collective de soutenir les plus petites maisons de disques : il n’y aurait pas de concurrence, chacun pourrait offrir l’opportunité d’un futur constant et resplendissant aux artistes. Les majors ne peuvent plus continuer à vendre les Beatles, les Rolling Stones et Michael Jackson indéfiniment.
Étant à la tête d’un label indépendant, vous avez certainement vu cette industrie musicale évoluer. Pourriez-vous expliquer comment ?
J’ai été à la fois chanceux et malchanceux d’avoir fondé une maison de disques à une ère où Internet et le digital sont en train de changer la manière dont on écoute et partage la musique.
Chanceux parce que c’est plus facile d’être repéré et écouté de par le monde. Quoiqu’il est difficile de prendre du recul et qu’il faut beaucoup de travail et de bons artistes pour être remarqué. Ce que je veux dire, c’est que j’ai été capable de lancer ce label et de trouver un public au-delà de la Nouvelle-Zélande pour des groupes locaux d’une manière qui aurait été impossible sans aide, il y a quelques années. Par exemple, c’est vraiment génial de voir une critique de l’une de nos sorties dans les Inrockuptibles.
Le côté malchanceux est dû au fait que j’ai essayé de fonder un label à une période où les ventes physiques chutaient, temps pendant lequel les gens avaient accès à des téléchargements gratuits et utilisaient des plateformes « streaming » comme Spotify. Tout cela diminue les ventes physiques et fait que le côté financier des sorties d’albums est moins viable pour les labels qui font émerger des artistes ignorés.
Fishrider est dévoué aux sorties physiques, notamment le vinyle. Les coûts d’affranchissement et de transport sont très élevés et il n’y a pas d’usines de pressage de vinyles en Nouvelle Zélande, ce qui rend particulièrement difficile le fait de diriger un label à Dunedin. J’ai été chanceux d’avoir un partenariat avec le label Occultation Recordings, basé en Angleterre. Nous avons collaboré sur quelques sorties et ils m’ont aidé à distribuer au Royaume-Uni et en Europe. Je suis fasciné par la manière dont la musique se répand dans le monde aujourd’hui.
Dans les jours suivant la sortie de Floristry, le premier album de Trick Mammoth, les titres étaient disponibles en téléchargement illégaux sur plusieurs sites russes et partagés sur leurs réseaux sociaux par des centaines de personnes. C’est un peu étrange pour un premier disque d’un groupe pop de Dunedin, ainsi que pour leur maison de disques ! Mais c’est cool que tant de gens à travers l’Europe aient immédiatement aimé ce groupe et l’écoutent maintenant. La pop à carillons et les fleurs doivent sûrement être un langage international !
Ses goûts musicaux
Y a-t-il un ou plusieurs album(s) qui ai(en)t changé votre vie ? Le(s)quel(s) ?
Several de Velvet Underground & Nico ; Ege Bamyasi de Can ; Springhill Fair de The Go-Betweens ; Odyshape de The Raincoats ; Cut par The Slits et Colossal Youth de Young Marble Giants me viennent à l’esprit.
Les albums des années 60 de Serge Gainsbourg m’ont introduit à la musique française, que je découvre encore aujourd’hui. L’un des premiers groupes que j’ai vu en concert était le groupe français Téléphone. Plus récemment, Opposite Sex par Opposite Sex et Floristry par Trick Mammoth sur Fishrider ont changé ma vie !
Avez-vous déjà pleuré ou ressenti quelque chose de fort à un concert ?
Oui : voir Daniel Johnston il y a quelques années puis Neutral Milk Hotel l’année dernière pour la première fois a été émouvant. Je n’aurais jamais pensé voir aucun d’entre eux en concert. Je ressens aussi beaucoup de sensations quand je vois l’un de mes jeunes groupes – comme Trick Mammoth – jouer et obtenir de super réactions lors d’une grande représentation. Je sais à quel point ils peuvent être nerveux et vouloir absolument gérer durant leur set. Quand je les vois se détendre, sourire et rire entre eux sur scène pendant le show, c’est très émouvant.
Quels artistes voudriez-vous voir en live ?
Deux artistes me viennent à l’esprit : Veronica Falls et Courtney Barnett.
Avez-vous des « regrets musicaux » (par exemple : ne pas avoir eu l’opportunité de parler à un artiste, d’en signer un, etc) ?
Non, pas vraiment. Il y a des artistes que j’aurais aimé publier mais d’autres labels l’ont fait avant moi. Mais ce ne sont pas des regrets car leur musique est éditée, au final. Je ne ressentirais pas le besoin de régir un label si tous les groupes que j’aimais et écoutais étaient signés sur d’autres que le mien.
English Version
Fishrider Records is a New Zealand label, precisely from Dunedin, whose management is based on « music arts & crafts » and « Do It Yourself ».
Its strength : signed bands’ eclectism, the different musical identities of the artists, the depth of their sound and more. Fishrider is an one of a kind label, run by Ian Henderson, a person whose morals should be followed by many majors’ owners… To learn more about his work, I asked him some questions.
Since when are you in business ? What prompted you to start your own label ?
Fishrider started in 2006. I wanted to release a friend’s music because no other label would. I used the internet to find places to play it and review it and had a really good reaction. People loved it and bought it from all around the world. They were excited to hear music still coming from Dunedin. Dunedin was regarded as one of the centres of alternative music in the 1980s.
Then I started releasing albums by my brother’s band The Puddle. The Puddle were on Flying Nun Records in the 1980s and 1990s at the same time as well-known Dunedin bands The Clean, The Chills, The Verlaines etc. Some people knew about them around the world. So that helped Fishrider get noticed a little bit early on.
Are there some elements, apart from the musical side of an artist that push you to sign this artist and not another one ?
I only ever release music I really want in my own record collection, made by people I know who live in Dunedin. It is a very limiting approach but I do it for the love of music, so that keeps it sensible.
So most important is – do I love the music so much I can’t bear for it to never be released ?
Second most important is – do I like the people and understand them and want to work with (and for) them ?
Third is – will I be able to sell enough of this music to at least cover the cost of releasing it ?
That is where Fishrider is different from most other labels ! My heart leads my head which is probably not a great business success model. But I think it means Fishrider releases some great music that wouldn’t otherwise get released.
Thoughts on the music industry
What do you think about today’s music industry ?
It is very hard to sustain a record label right now. The internet helps communicate with the world but it is hard to turn that into financial sustainability. Fishrider is not « music industry » but I think more « music arts & crafts ». It is really a collaborative thing with musicians I love and admire, to help them release and promote their music. It is like a partnership or a collective really. I don’t earn a living from it.
I think there is too much emphasis in the music business on back catalogue re-issues and « legacy » artists and not enough on developing the future of music. Music festivals, Record Store Day, and the music media appear to be dominated by reformed bands, old bands and re-releases. I think this is like a big shadow over younger musicians in a way that never was for past generations.
I think it is much harder for new artists and bands to establish themselves and to survive. Financially it is very hard. It is easier for them to record and release music themselves but there is much less support for their development. It is asking a lot of musicians to have also manage, promote and market themselves while having a day job and writing music and rehearsing.
I think small labels like Fishrider are braver than major labels. We take chances on new, emerging musicians that majors don’t anymore. Major label music is pretty bland and familiar. But major labels are businesses so they are there to make profits for shareholders out of music rights they hold. Their interest in music is in the business of making money rather than the culture, expression or art-form.
What if you were in majors’ shoes ? Would you change anything ? If yes, how ?
I think small independent labels have taken over the « talent scout » role bigger labels used to do. But the big labels dominate the marketplace – physical and digital – and it is harder for small labels to survive now.
If I ran a major label I hope I would realize the importance of small labels remaining viable as that could be where my future artists are developed.
What I would change is find ways for the collective industry to support the smaller labels – they aren’t competition – they offer the opportunity of future continuity & replenishment. Major labels can’t keep selling The Beatles, The Rolling Stones and Michael Jackson forever.
The evolution of the music industry
You own an independent label so you certainly have seen this musical industry evolving. Could you explain how ?
I have been both lucky and unlucky to start a label at a time when the internet and digital media is changing the way music is heard and shared and listened to.
Lucky, as it is much easier to be heard and noticed around the world. Although it is still hard to stand out and takes a lot of work and good music get noticed. That means I have been able to build up a label and find a worldwide audience for bands from Dunedin in a way I couldn’t have done years ago without a lot of help. For example, it is very cool to have had three bands and albums featured by Les Inrockuptibles in France recently.
The unlucky part is that I am trying to build a label at a time when music sales are falling and more people access free downloads or use streaming services like Spotify. This all reduces sales and makes the financial part of releasing music less viable for small labels releasing obscure artists.
Fishrider is a label devoted to physical releases – particularly vinyl. Postage and freight costs are very high and there are no vinyl record pressing plants in New Zealand so it is very challenging running a label from Dunedin, New Zealand. I have been lucky to have an informal partnership with a label in England called Occultation Recordings. They have done some co-releases with me and help with distribution in the UK and Europe. I’m fascinated by how music spreads around the world today.
Within days of Trick Mammoth’s Floristry’ album being released it was available as illegal MP3 downloads on several Russian websites and shared around Russian social media by hundreds of people. That is all a bit weird for the first release from an unknown young « Flower Cult pop band » from Dunedin, New Zealand. And for their label! But it is cool that so many people across Europe loved it straight away and are listening to Trick Mammoth. Melancholy jangle-pop & flowers must be an international language !
His music tastes
Is there a record that changed your life ?
Several – Velvet Underground & Nico, Ege Bamyasi by Can, Springhill Fair by The Go-Betweens, Odyshape by The Raincoats, Cut by The Slits and Colossal Youth by Young Marble Giants come to mind.
The 1960s albums of Serge Gainsbourg also introduced me to French music, which I am still discovering. One of the first bands I ever saw live was French new wave band Telephone. Most recently Opposite Sex by Opposite Sex and Floristry by Trick Mammoth on Fishrider changed my life !
Have you ever cried or felt something big at a show ?
Yes, seeing Daniel Johnston a few years ago and then Neutral Milk Hotel last year for the first time was a bit emotional. I never thought I would see either of them play live. I also get quite emotional when I see one of my young bands – like Trick Mammoth – play really well and get a great reaction at a big show. I know how nervous they are and how much they want to play well. When I see them relaxing and smiling and laughing at each other on stage at a big show (for them) that is pretty emotional for me.
Which artist(s) would you like to see live ?
Two I would love to see that come to mind immediately are Veronica Falls and Courtney Barnett.
Have you some « musical regrets », like you haven’t had the opportunity, the chance to talk to an artist, to sign an artist ?
No, not really. There are some artists I would have liked to release but other labels have signed them first. But they are not regrets because their music is released by someone. I wouldn’t need to run a label if all the bands I liked and wanted to hear were signed to other labels.