Into The Raging Sea
Broadside est comme une comète que l’on aperçoit juste avant de définitivement perdre tout espoir. Une comète qui brûle d’incertitudes et de frustrations, mais aussi d’envie, d’excitation et de persévérance.
Il y a longtemps que le quatuor de Richmond (Virginie) n’est plus composé de son lineup originel. Le départ de Dorian Cooke (guitariste /chanteur) l’année dernière a fragilisé l’ensemble. De retour de tournée, et malgré une phase de doute quant à leur direction artistique, Broadside entre en studio pour un mois afin d’écrire et enregistrer leur troisième disque. Nous sommes alors le 24 juillet 2019.
Mais les galères ne sont jamais finies. En septembre 2019, soit quelques semaines après la finalisation de l’album, Victory Records, leur label d’alors, est racheté par Concord Music. L’équipe propose à Broadside de les rémunérer et de leur céder les droits ET le matériel. Ainsi, Oliver Baxxter (chanteur) détient un produit fini et prêt à être vendu à un autre label.
Cela les plonge dans un océan de doute. Par chance, il se trouve que leur manager de longue date est aussi le gérant de SharpTone Records. La suite, on la connaît : la bande rejoint un nouveau roster. Puis, pile un an après leur entrée en studio, soit le 24 juillet 2020, sort enfin Into The Raging Sea.
That’s the spirit
Selon les dires du groupe, l’objectif pendant la création était de rester le plus authentique possible. Ne pas se poser de limites, tout en gardant un esprit de cohésion. Chacun a ainsi apporté sa touche au projet, que ce soit dans l’instrumentation, les paroles, la production et la post-production.
Seth Henderson (Knuckle Puck, Real Friends, State Champs) a accueilli le quatuor dans son propre studio, dans l’Indiana. Ils expliquent qu’ils passaient en moyenne douze heures par jour à écrire et enregistrer. Seth leur a fait tester chaque idée, qu’elle soit bonne ou mauvaise au premier abord. Durant les deux premières semaines, ce sont Domenic Reid (guitariste) et Pat Diaz (bassiste) qui ont dessiné la structure de l’album. Jeff Nichols (batteur) s’est en grande partie occupé de la post-production.
En quasi-totale isolation et après avoir ‘testé’ son public puis reçu des avis favorables sur deux chansons (King Of Nothing / Empty), Broadside s’est dit : « Le genre musical n’est finalement pas important ! ». Et cela m’amène à dire que l’on se retrouve de plus en plus face à des artistes qui ne veulent plus strictement se classer, mais explorer davantage d’autres styles. Et respect à eux pour ça, car de nos jours, beaucoup de genres ne se renouvellent que trop peu.
Quand The Weeknd et Robert Smith collaborent
Oliver ‘Ollie’ Baxxter n’a pas été épargné par les épreuves de la vie. Aujourd’hui, il retranscrit sa douleur dans ses paroles, ses poèmes et son style de chant. Lorsque j’évoque Robert Smith et The Weeknd, je parle de romantisme noir, d’inspiration mélancolique, et presque d’aliénation. Ces artistes sont parmi ceux qui inspirent Ollie vocalement et l’aident ainsi à exprimer sa peine.
Les refrains accrocheurs et les mélodies pop punk de certains titres s’opposent à la souffrance et la colère contenue dans les morceaux plus intenses. On peut qualifier Into The Raging Sea de catharsis pour Ollie, qui en a écrit les paroles, mais également pour son auditeur.
Cet état d’esprit est directement lié aux champs lexicaux de la mer et de la lumière qui courent à travers les onze pistes. Ces deux éléments sont ceux qui sautent le plus aux yeux quand on regarde la pochette. Si Ollie a conçu les deux premières, celle-ci a été réalisée par un graphiste.
« L’un des concepts de l’album est l’idée que chaque bougie possède sa lumière mais qu’elle diminue, puis finalement s’éteint. » The Raging Sea, le titre d’ouverture, reflète sa situation, mais aussi celui de beaucoup d’autres musiciens. « C’est ma frustration, je suis en train de me noyer ! Notre disque parle de ça. »
Les paroles
Dès l’ouverture de l’album avec The Raging Sea, la ligne ‘Thirty-six minutes of your time, please just let me change your mind’ sonne comme une requête à l’auditeur. 36 minutes, soit la durée totale de l’album, seront-elles suffisantes à Broadside pour nous embarquer ? Selon Domenic, c’est « la chanson la plus honnête que le groupe a sorti ».
Que ce soit à travers des sonorités pop punk ou plus alternative rock, les paroles sont lourdes de sens. Dans Foolish Believer, on entend un appel à la reconnaissance dans le refrain. Ollie qualifie la ligne ‘Please I know my days are numbered, I just wanna be remembered’ de stimulante. « Si ça m’encourage, si ça encourage d’autres personnes, alors c’est magique ! », déclare-t-il à leur propos. Au contraire, dans la structure du bridge, la ligne ‘I got a feeling that it’s gonna be a lonely night’ renvoie à une posture plus pessimiste.
Le chanteur expérimente beaucoup et pousse ses capacités au-delà de ce qu’on lui connaît. Il relève à la sauce pop sexy Nights Alone, l’un des morceaux les plus marquants de l’album. Les harmonies sur ‘if you want it’ et ‘if you got it’ sont efficaces sur le second couplet. À ce sujet, il explique s’être inspiré des genres emo, R&B, et sad post punk.
Toujours selon les propos des musiciens, c’est une chanson d’amour pour adultes comparée aux précédentes traitant du même thème. Ils caractérisent ce projet comme ‘adulte’, car ils ont eux-mêmes grandi.
« Il y a un dialogue tacite entre l’artiste et l’auditeur qui est la meilleure chose en musique. En les temps actuels où les gens ont besoin d’être en contact avec les uns et les autres, notre album peut ouvrir un dialogue, surtout avec ce genre de chanson. »
Dans Dancing On The Ceiling (With You), il utilise l’expression ‘sunken pride’. À ce sujet, Ollie précise : « C’est ce que tu es, ce à quoi tu es censé ressembler, ressentir car c’est ‘vendeur’. C’est devenu la manière de penser des gens sur Internet. Laissez tomber votre ego, votre fierté, ne les laissez pas s’exprimer à votre place ! »
Clarity et Seasons sont les plus personnelles de l’opus, inconfortables et douloureuses pour Ollie. Les paroles ont mis quelques jours avant de mûrir dans son esprit. Il déclare : « Parfois, les choses ont juste besoin d’être déclenchées, puis elles viennent d’elles-mêmes. Tu regrettes presque de les enregistrer parce que quand tu les réécoutes, ça fait mal ».
Néanmoins, il a fait la même chose avec A Place To Lay Your Head et A Better Way (extraits d’Old Bones). Ce n’est donc pas un hasard si elles ne font pas partie des setlists…
J’ai particulièrement aimé cette déclaration : « Il y a un dialogue tacite entre l’artiste et l’auditeur qui est la meilleure chose en musique. En les temps actuels où les gens ont besoin d’être en contact avec les uns et les autres, notre album peut ouvrir un dialogue, surtout avec ce genre de chanson. »
Sur Seasons, il compare la première ligne vocale, ‘I just wanna feel alive’, à un anime, et plus précisément à l’intensité du genre. Le flow dans son chant sur le bridge est, selon ses termes, inspiré par Nicki Minaj.
‘I’m drowning from the raging sea inside of me’
« L’un des concepts de Into The Raging Sea est l’idée que chaque bougie possède sa lumière mais qu’elle diminue, puis finalement s’éteint. » The Raging Sea, le titre d’ouverture, reflète sa situation, mais aussi celui de beaucoup d’autres musiciens. « C’est ma frustration, je suis en train de me noyer ! Notre disque parle de ça. »
S’il y a bien une piste qui confirme le propos du groupe sur les concepts, c’est bien The Setting Sun. Choisi comme titre à l’origine, une conversation entre Domenic et Ollie les a amenés à réfléchir sur le véritable objectif du projet. Ils ont relevé la ligne ‘I’m drowning from the raging sea inside of me’ et ont conclu que Into The Raging Sea était plus adapté.
Dès les premiers albums, Ollie a amorcé sa guérison, plus mentale que physique, autour de ces thèmes. Dans The Simple Type (Old Bones), on entend : ‘You’re throwin’ stones into an ocean at its highest tide’. Sur Paradise également, le morceau éponyme du second album : ‘Go and chase your paradise into the waves, this tide will carry you, don’t run away, light a fire that burns through the whole night’.
Il y a une nette opposition entre les paroles et la mélodie. Intense, heavy, qui nous pousserait à ‘accélérer sur l’autoroute’, pour citer Ollie.
Il a écrit The Setting Sun sur une idée de culpabilité, de doute avec laquelle les gens vivent quotidiennement. Quand tout va mal dans ta vie et que tu te sens seul, misérable… Tu te mets sur un piédestal et t’auto-flagelle. Il l’explique simplement par une métaphore : ‘The moon is hanging low, it’s almost blinding, I’m drowning from the raging sea inside of me’. Pour expliquer cette figure de style, il dit juste : « I know I am the problem. »
Acceptation
Sur Old Bones, A Light In The Dark marque un instant court et optimiste. Il en est de même pour Burning At Both Ends sur ce disque. Ce message positif pour nous sortir de cette ‘mer déchaînée’ s’adresse ici à un ami perdu.
Ainsi, il nous donne un moment pour récupérer de notre aventure, faire un bilan de ce roller coaster d’émotions. Entre chansons énervées et chansons d’amour, il est enfin temps pour nous d’être en paix et de savourer ces dernières minutes.
Selon Jeff, pianiste sur ce morceau, celui-ci pourrait se résumer à l’acceptation. Une nouvelle fois, c’est une métaphore qui court sur tout le texte : celle de dire au revoir à quelque chose que l’on a construit. Ollie avait en tête l’image de quelqu’un qui a mis neuf ans à construire son bateau pour finalement le voir prendre le large.
Pop punk pour adulte : tutoriel par Broadside
Si les paroles mettent en avant deux thèmes principaux, le style musical se sépare aussi en deux courants. Nights Alone, Foolish Believer, Heavenly, Overdramatic sont des titres catchy qui rappellent l’esprit des premiers opus de Broadside. Refrains énergiques, retombées sur le bridge puis une reprise en trombe sur la fin… Cela promet de beaux souvenirs en concert.
Nights Alone fait partie des tracks originales de par son expérimentation. Les musiciens ont effectivement utilisé des ‘pads’ et des synthés pour lui apporter du caractère. Déjà considéré comme l’un des monuments du disque, il devait être le premier single. Selon les chiffres de Spotify, il est parmi les préférés des fans car il est le plus rejoué une fois que les auditeurs ont terminé l’écoute de l’album.
Sur Heavenly, la technique de chant d’Ollie dans les couplets me fait penser à du R&B. Les lignes de guitares ‘lead’ sont écrites par Dave Knox, l’un des guitaristes de (feu?) Real Friends. Jeff a dû réécrire la totalité du morceau car si Victory Records souhaitait au moins un titre pop punk sur le disque, ils n’ont pas validé la première demo. Selon le groupe, la version initiale est à 100 % différente de celle présentée ici.
Alternative rock made in Broadside
Le rythme plus lent de Clarity marque une pause. Son riff d’intro est génial et le démarrage net sont autant de preuves que la complémentarité et l’expérience de chaque musicien procurent des sensations uniques. Sur Seasons, Domenic et Pat ont utilisé de vieux amplis datant des années 60 et appartenant au père de Seth Henderson. Ces titres sont les plus émouvants dans leurs paroles. Aussi, je pense qu’ils donneront de beaux moments intimistes en live.
La construction de The Setting Sun est superbe. Le changement de rythme au bridge est juste parfait. Les arrangements vocaux sur le pré-refrain sont excellents et font contraster le refrain avec le reste.
Broadside tenaient à placer un titre au piano sur la tracklist et la meilleure place qu’ils aient trouvé pour celui-ci est en clôture. La toute dernière note est grave, et peut se fondre avec la première note de The Raging Sea, grave, elle aussi.
Le groupe mentionne le fait que pendant ces quelques semaines, une sorte de magie s’est créée. Il déclare : « Il y a des passages de l’album pendant lesquels on n’entend pas les harmonies, mais une présence, un semblant de ce qu’il se passait au studio au moment de les enregistrer. »
Closing
C’est la première fois que le groupe travaille ensemble, littéralement. Ce projet représente une étape capitale dans leur carrière : un développement certain et leur triomphe sur les épreuves traversées. Cela a également facilité leur entraide et chacun a apporté sa touche selon les étapes de création.
J’ai adoré découvrir, écouter (et écouter encore) et analyser cet album. Je pense qu’il fera partie de mon top de fin d’année… L’univers présenté par Broadside est sombre et à la fois plein d’espoir. Ils confirment une certaine proximité avec leur public par des messages porteurs et la volonté de rester pertinents.
Parmi les albums les plus attendus de l’année chez Alternative Press, Into The Raging Sea a atteint des chiffres impressionnants depuis sa sortie. Il y a trois jours, quelque 1,5 millions de streams étaient décomptés, ainsi que des places plus qu’honorables dans les classements Billboard. Pour ne citer que ceux-ci : 4ème du ‘Alternative New Artist Albums’, 11ème du ‘Current Hard Music Albums’ ou encore 14ème du ‘Top New Artist Albums’.
Enfin, Broadside jouera, si ces messieurs dames Coronavirus le permettent, au Petit Bain de Paris en première partie de Set It Off, le 15 mai 2021.
Coups de coeur : The Raging Sea, Foolish Believer, Nights Alone, Burning At Both Ends